La vente Hlm vue des Pays-Bas, un retour d’expérience. Entretien avec Ben Pluijmers, président de la European Federation for Living
Considéré comme le modèle de vente Hlm le plus proche du cas français, les bailleurs sociaux néerlandais ont massivement cédé leur patrimoine pendant les années 2010, majoritairement auprès des particuliers. Dix ans après, quels enseignements en tirer ? Ben Pluijmers, président de la European Federation for Living et membre de conseils d’administration de plusieurs organismes Hlm, en France et aux Pays-Bas, revient sur cette expérience et nous en livre les enseignements.
Pour commencer, pouvez-vous dresser un état des lieux du marché du logement aux Pays-Bas ?
Les Pays-Bas connaissent actuellement une pénurie de logements, estimée à environ 5 % du parc existant. Ce déficit s’explique par un manque de construction neuve ces 15 dernières années, et cette insuffisance se fait particulièrement sentir aujourd’hui. En conséquence, le parc social est saturé, et les demandeurs ont de plus en plus de difficultés à obtenir un logement. En parallèle, les prix de l’immobilier à l’acquisition ont connu une forte inflation, en raison de la tension provoquée par une offre insuffisante.
Le marché immobilier néerlandais a une configuration assez unique : environ 60 % des logements sont occupés par leur propriétaire et 30 % relèvent du parc social, tandis que le marché locatif privé ne représente que 10 % du parc total. Toutefois, une véritable difficulté se pose pour les classes moyennes. En effet, alors que le parc social était autrefois accessible à tous sans condition de ressources, un plafond de revenus a été introduit en 2011. Aujourd’hui, les ménages gagnant plus de 50 000 € par an ne peuvent plus accéder au logement social, mais ils sont souvent incapables d’acheter en raison des prix élevés, surtout dans les grandes villes, et peinent également à se loger sur le marché locatif privé — qui est extrêmement restreint.
Quel est l’historique de la vente Hlm aux Pays-Bas ?
Historiquement, les Pays-Bas ont mis en place des politiques publiques de logement très volontaristes. Cependant, à la fin des années 1990, sous l’influence des politiques néolibérales, les organismes Hlm ont été rendus autonomes par rapport à l’État et aux municipalités, y compris sur le plan financier. Dès lors, ils n’ont plus pu compter sur des subventions publiques et ont dû se financer uniquement parles loyers et la vente de leur patrimoine.
C’est ainsi que dans les années 2000, les organismes Hlm ont commencé à adopter des stratégies entrepreneuriales, vendant une partie de leur patrimoine pour financer la construction de nouveaux logements. La vente de logements sociaux s’est encore intensifiée après la crise financière de 2008, notamment en raison de la nouvelle taxe sur le logement social introduite en 2012 par le gouvernement néerlandais. Cette taxe a lourdement pénalisé les bailleurs sociaux, qui ont alors vendu massivement leurs logements. Durant certaines années de la décennie 2010, jusqu’à 20 000 logements Hlm ont été vendus, tandis que la construction neuve chutait de manière significative — étant divisée par 2,5 entre 2010 et 2018.
Aujourd’hui, les bailleurs sont plus réticents à céder leur patrimoine, car la pression sur le parc social est très forte. Dans la moitié des municipalités néerlandaises, les listes d’attente pour un logement dépassent les sept ans. La vente Hlm a contribué à cette tension, avec une diminution nette de 100 000 logements sociaux au cours de la décennie. Aujourd’hui, les ventes Hlm sont revenues à un niveau plus bas, autour de 5 000 logements par an.
Quelles ont été les modalités de la vente Hlm aux Pays-Bas ?
Aux Pays-Bas, la vente Hlm s’est faite à la fois à des investisseurs institutionnels, y compris étrangers, et à des particuliers. Dans le cas des particuliers, il existait deux scénarios principaux. Dans le premier, le logement était vendu en dessous de sa valeur marchande, avec l’obligation pour l’acquéreur de le revendre à l’organisme Hlm, la plus-value étant alors partagée en parts égales entre le ménage et l’organisme. Ce mécanisme était particulièrement intéressant pour les ménages qui n’avaient plus accès au parc social, mais ne pouvaient pas non plus acquérir un logement sur le marché privé. Cela leur permettait de constituer un capital et de se lancer sur le marché immobilier classique.
Dans le second scénario, les organismes Hlm cherchaient simplement à maximiser leurs revenus, en vendant les logements au meilleur prix possible afin de réinvestir les fonds dans la construction de nouveaux logements ou la rénovation du parc existant.
Crédits photos : Arnaud Bouissou - Terra ©
Quelles sont les conséquences actuelles de la vente Hlm ?
Avec le recul, les résultats de ces ventes sont mitigés. La vente de logements Hlm aux particuliers a engendré des situations de copropriété qui posent aujourd’hui des problèmes de gestion et d’entretien. Cela est particulièrement visible lorsqu’il s’agit de réaliser des travaux de rénovation énergétique, car les copropriétaires manquent de moyens financiers pour y faire face. Aux Pays-Bas, un investissement important en copropriété nécessite l’accord de 70 % des copropriétaires. Or, dans les copropriétés mixtes, où des bailleurs sociaux cohabitent avec des particuliers, les coûts des travaux sont trop élevés pour ces derniers, rendant difficile toute rénovation énergétique.
Un problème similaire survient avec la vente en bloc à des investisseurs, mais pour d’autres raisons. Ces investisseurs institutionnels cherchent avant tout à maximiser leurs profits, ce qui se traduit par une augmentation des loyers et une minimisation des dépenses d’entretien, en particulier pour les travaux de rénovation énergétique. Bien que cela ne soit pas aussi prononcé qu’en Allemagne, on observe un comportement proche de ce que l’on appelle les « investisseurs criquets » (grasshopper investors), qui tirent un maximum de profits avant de revendre les biens dès qu’ils nécessitent des investissements importants.
Cette situation a conduit à une dégradation de la qualité du parc immobilier. Aujourd’hui, lorsqu’on se promène dans des villes comme Rotterdam ou Amsterdam, on distingue facilement les immeubles bien entretenus, appartenant encore intégralement aux organismes Hlm, des copropriétés où des lots ont été cédés à des particuliers ou des bâtiments vendus à des investisseurs institutionnels, dont l’entretien laisse souvent à désirer.
Et pour les organismes Hlm, quelles ont été les conséquences ?
Pour les bailleurs sociaux, la vente Hlm a permis de dégager des fonds, notamment par l’intermédiaire de la vente à des particuliers sans contrepartie qui leur a permis de vendre au meilleur prix. Ces revenus ont surtout été utilisés pour financer la rénovation énergétique des logements restants, mais pas suffisamment pour relancer la construction neuve.
En théorie, la vente d’un logement Hlm au prix du marché devait permettre de financer la construction de deux nouveaux logements. Dans la pratique, ce n’est pas ce qui s’est passé, et la part des logements sociaux dans le parc total a diminué au cours des années 2010. Toutefois, la situation évolue : l’État néerlandais a récemment compris qu’il avait besoin des organismes Hlm pour construire de nouveaux logements. Un nouveau programme national vise la construction de 900 000 logements d’ici à 2030 pour combler le déficit actuel de 400 000 logements et absorber la croissance démographique prévue (à hauteur de 500 000 logements). Dans ce contexte, la taxe introduite en 2012 a été partiellement réduite pour offrir aux bailleurs sociaux plus de marges de manœuvre financières afin de concourir à cet effort de production.
Que peut apporter l’Union européenne en matière de logement, notamment avec la nomination d’un commissaire européen dédié à cette question en 2024 ?
L’implication de l’Union européenne dans le secteur du logement est une bonne chose. Cependant, les politiques de logement, en particulier pour le logement social, relèvent traditionnellement des États membres. Il est donc incertain de savoir jusqu’où l’Union européenne pourra intervenir.
L’UE pourrait toutefois apporter des ressources complémentaires, par exemple, pour soutenir la rénovation énergétique dans le cadre du Green Deal. Les défis liés à la transition énergétique et écologique concernent l’ensemble des pays européens, et une réponse coordonnée serait pertinente.
Enfin, la collaboration transnationale est essentielle. Au sein de la European Federation for Living, nous échangeons des connaissances et des expériences à l’échelle européenne, ce qui aide les organismes Hlm à relever leurs défis communs. Un bon exemple est la méthode Energiesprong, développée aux Pays-Bas, qui est désormais utilisée dans d’autres pays comme la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Sur la question de la vente Hlm, il est utile d’apprendre des expériences étrangères. L’évaluation du programme britannique du right to buy, par exemple, a révélé que 60 % des logements vendus avaient été rachetés par des investisseurs privés au bout de 10 ans. Ces leçons doivent nous inciter à la vigilance concernant les ventes Hlm.
Propos recueillis par Mikaël Dupuy Le Bourdellès.
Crédits photos : Arnaud Bouissou - Terra ©