La vente de logements sociaux en France en chiffres et en cartes
Par Florence Goffette-Nagot (CNRS, UMR GATE), Carolina Borré (CNRS, UMR EVS), Lydia Coudroy de Lille (Université Lumière Lyon 2, UMR EVS).
Dans le cadre de la loi ELAN votée en 2018, le gouvernement français s’est fixé pour objectif la mise en vente de 40 000 logements sociaux par an. Sur la période 2013-2019, le volume annuel des cessions est resté globalement limité (autour de 10 000 unités) et a été marqué par des tendances contrastées avec une baisse à la fois absolue et relative du nombre de ventes de 2013 à 2015, avant une reprise en 2016 puis une accélération après 2017. En 2019, plus de 11 000 logements Hlm ont été vendus à des particuliers, soit 0,22 % (ou 2,2 ‰) du stock existant d’habitat social sachant, qu’en réalité, la vente exclut certaines catégories du parc existant, comme les logements de moins de dix ans, les plus énergivores, etc. (Tableau 1). Notons que ces ventes ont été réalisées dans un contexte de croissance très modérée du parc total de logements sociaux.
Au-delà de ces réalités quantitatives, peu d’informations sont aujourd’hui disponibles sur la spatialisation de ces ventes. Où ces ventes par les bailleurs sociaux sont-elles localisées ? Comment se répartissent-elles sur le territoire et selon quelles logiques ? Où sont-elles les plus nombreuses en termes absolus et en proportion du parc de logements sociaux ? Pour donner des premiers éléments de réponse à ces questions, nous proposons une lecture départementale et communale de la vente Hlm sur la période 2013-2019 sur la base des données du Répertoire du logement social (RPLS).
Méthodes et sources
Le RPLS fournit chaque année des informations sur les effectifs, les caractéristiques et la localisation du parc de logements détenu par des bailleurs sociaux. Il indique également la destination des logements qui ont quitté le parc au cours de l'année précédente, permettant ainsi d'identifier en particulier les ventes à des personnes physiques. À cet égard, les taux de vente présentés dans cette recherche sont calculés comme les ratios entre l'effectif de logements vendus à des personnes physiques au cours de l'année N et l'effectif des logements actifs au sens du RPLS au 1er janvier de l'année N.
Les chiffres présentés ici pour le calcul des taux de logements sociaux s’appuient également sur les données de recensement d'où sont extraits les effectifs communaux de logements. Ces taux sont calculés comme le ratio entre l'effectif des logements enregistrés au RPLS et celui des logements dénombrés au recensement de population. Les chiffres sont présentés pour la France métropolitaine hors Corse. Les données RPLS sont disponibles pour les années 2013 à 2020, tandis que les données du recensement de la population sont disponibles jusqu'à l'année 2018.
Le parc de logements sociaux dans l’espace français : diffusion rurale à l’ouest et concentration urbaine au nord-est
La vente de logements sociaux affecte différemment les territoires en fonction de l’importance du parc Hlm dans le stock total de logements au niveau local. Rappelons que l’habitat social est surtout présent dans la moitié nord de la France, en particulier dans les régions anciennement industrialisées, et dans les pôles urbains majeurs. À l’inverse, la part des logements sociaux dans le stock de logements est faible, inférieure à 6 %, dans de nombreux départements ruraux des régions Provence Alpes Côte d’Azur, Occitanie et Nouvelle Aquitaine (Figure 1).
Figure 1 : Taux de logements sociaux par département en 2018
La distribution spatiale de l’habitat social à l’échelle des communes montre également une présence significative, même si plus diffuse, des logements Hlm en Bretagne et dans les Pays de la Loire, ainsi que dans une moindre mesure en Auvergne-Rhône-Alpes (Figure 2). En revanche, dans le quart nord-est, le parc Hlm reste concentré dans les agglomérations urbaines mais quasi-absent des communes rurales.
Figure 2 : Taux de logements sociaux par commune en 2018
La vente de logements sociaux dans l’espace français : les grandes agglomérations en retrait
Sur la période 2013-2019, notre enquête montre que les départements où les taux de vente sont parmi les plus élevés sont ceux qui sont très peu pourvus en logements sociaux (Figure 3). Même si la réalité quantitative de ces cessions est très faible (taux de vente annuel moyen de 16 ‰ dans les Alpes de Haute-Provence, 7 ‰ dans le Lot-et-Garonne et 5 ‰ en Haute-Loire) il est probable que l’offre de logements sociaux déjà peu abondante sur ces territoires se contracte encore davantage, renforçant les difficultés d’accès au logement abordable dans ces marchés de l’habitat parfois mis sous pression par l’essor de l’immobilier résidentiel secondaire et de tourisme.
Figure 3 : La vente de logements sociaux par département (2013-2019)
Des taux élevés de vente Hlm sont également observés dans certains départements du Grand Est ayant un parc de logement social important. C’est le cas de la Meurthe-et-Moselle ou de la Marne, où respectivement 5‰ et 4 ‰ du parc social – représentant localement 14,1 % et 24,6 % du parc total de logement – ont été vendus. Les taux de vente sont aussi localement élevés dans des départements plus ruraux des Pays de la Loire (Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire), sur des territoires assez étendus où la part de logements sociaux est élevée au regard de la situation observée dans d’autres territoires à dominante rurale.
A contrario, les premiers résultats de notre recherche montrent que le taux de vente annuel moyen est inférieur à 1 ‰ dans 20 départements (Bas-Rhin, Hérault, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Var, etc.) et qu’il est compris entre 1 et 2 ‰ dans 34 départements (Bouches-du-Rhône, Finistère, Hauts-de-Seine, etc.).
Figure 4 : Taux de vente annuel moyen de logements sociaux par commune (2013-2019)
La carte des taux de vente annuel moyen sur la période 2013-2019 à l'échelle communale (Figure 4) permet par ailleurs de nuancer la lecture qu’offrent les données agrégées au niveau départemental. Un clivage entre communes urbaines ou périurbaines, d’une part, et communes à dominante rurale, d’autre part, apparaît à cette échelle. Les communes urbaines ou périurbaines, en périphérie des agglomérations parisienne, lyonnaise, dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, ont globalement plutôt préservé leur parc (taux de vente annuel moyen inférieur à 2 ‰). Dans le même temps, les bailleurs sociaux des communes de la Bretagne intérieure, du Maine-et-Loire, de Mayenne, de Touraine et du Berry, ou encore de l’arrière-pays bordelais, se sont plus volontiers délestés d’une partie de leur patrimoine. Enfin, notons que les communes enregistrant des taux supérieurs à 50 ‰ sont très peu nombreuses et singulières de ce point de vue dans leur environnement géographique. On remarque ainsi que des taux départementaux élevés s’expliquent souvent par une surreprésentation des ventes dans un nombre limité de communes. C’est le cas par exemple dans les Alpes-de-Haute-Provence où les communes de Manosque et de Digne-les-Bains représentent 42 % des ventes dans le département entre 2013 et 2019.