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Longtemps marginale en France, la vente de logements sociaux aux particuliers est fortement encouragée par les politiques publiques, en particulier depuis la loi Elan de 2018. Cette montée en puissance présente une série d’enjeux et de défis majeurs pour le monde Hlm et pour les territoires. En effet, à travers ce sujet, à première vue secondaire et technique, pourrait se jouer une partie de la reconfiguration du système français de logement social. Au-delà de ces aspects globaux, la vente Hlm produit, dans le même temps, de puissants effets à l’échelle des quartiers, des immeubles et des ménages.
Hortense Soichet ©
La vente de logements locatifs sociaux à des particuliers est autorisée en France, sous conditions, depuis 1965. Des logements Hlm sont régulièrement vendus depuis cette date, mais dans des volumes très limités : de 4 000 unités par an dans les années 1990 à environ 8 000 unités dans les années 2000 et 2010.
L’année 2018 représente un point de bascule. La loi portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique (Elan) propose alors d'accélérer fortement la cession de logements Hlm à des particuliers avec une double ambition : financer davantage la production neuve de logements sociaux par les produits de la vente de logements existants, et encourager les parcours résidentiels ascendants des locataires Hlm en leur facilitant l’accession à la propriété.
Un premier objectif de cette réforme de la vente Hlm portée par la loi Elan est bien financier. Dans le contexte de l’accélération du désengagement de l’État dans le financement du logement social — notamment à travers la réduction de loyer de solidarité (RLS) et la hausse de la TVA —, les pouvoirs publics ont souhaité promouvoir le développement des capacités d’autofinancement du secteur avec, à terme, la cession chaque année de 1 % du patrimoine de logements locatifs sociaux détenus par les bailleurs, soit environ 45 000 logements. Pour ce faire, la loi Elan a introduit des dispositions visant à accélérer les ventes : facilitation des autorisations de vente, simplification de la définition des prix de vente, création de sociétés destinées à la vente Hlm, etc.
Ces dispositions interrogent les fondements et les mécanismes de la cession de logements Hlm dans les années à venir, et plus largement le modèle économique et les stratégies patrimoniales des organismes gestionnaires. Comment cette incitation aux bailleurs sociaux à céder une partie de leur patrimoine vient-elle agir sur le financement et la planification de leurs activités ? La vente d’un logement permet-elle réellement de reconstituer les fonds propres nécessaires à la production de trois nouveaux logements ? Va-t-on, in fine, vers le développement d’une offre de logements à occupation sociale temporaire?
Hortense Soichet ©
Un second objectif de la réforme introduite par la loi Elan en 2018 vise à développer l’accession sociale à la propriété pour les locataires Hlm, grâce à des prix de cession en-deçà des prix du marché et à une commercialisation s’adressant en premier lieu aux occupants du logement ou, à tout le moins, du parc locatif social. Pour ces locataires, la vente Hlm pourrait ainsi constituer une opportunité pour réaliser des parcours résidentiels ascendants, y compris en demeurant dans leur logement précédent.
Toutefois, peu d’informations existent sur les ménages qui accèdent à la propriété par l'intermédiaire de la vente Hlm. Qui sont-ils ? La cession de logements sociaux ouvre-t-elle vraiment l’accession à la propriété à des ménages qui n’y ont pas ou peu accès sur le marché privé ? Comment cette acquisition est-elle accompagnée par les organismes Hlm et les pouvoirs publics, et comment influe-t-elle sur les parcours résidentiels des ménages concernés ?
À l’échelon local, la loi Elan retire aux communes et aux intercommunalités la possibilité de s’opposer à la vente de logements locatifs sociaux. Théoriquement, le choix des logements mis en vente repose donc uniquement sur la proposition des bailleurs sociaux, soumise à l’agrément des services de l’État. En pratique, depuis 2018, la gouvernance locale de la vente Hlm pourrait s’être recomposée, les collectivités locales usant de leurs capacités de négociations avec les organismes Hlm pour participer aux arbitrages.
Que sait-on de ces différentes configurations territoriales ? Comment les organismes Hlm composent-ils avec les politiques de l’habitat des communes et ses intercommunalités ? Comment ces dernières intègrent-elles les pratiques de vente Hlm dans leurs politiques locales de l’habitat et, en particulier, dans l’atteinte des objectifs de mixité sociale ?
Parallèlement, de nombreuses incertitudes demeurent sur l’impact de la vente Hlm sur le fonctionnement des marchés immobiliers locaux, comme sur les dynamiques des inégalités sociales et territoriales. Les politiques de vente Hlm contribuent-elles à davantage de mixité sociale dans les territoires les plus homogènes ? Ou, à l’inverse, renforcent-elles les tendances à la division sociale de l’espace ?
Hortense Soichet ©
L’objectif de vendre chaque année 1 % du patrimoine Hlm, même s’il est aujourd’hui loin d’être atteint, semble entraîner une évolution de l’organisation des bailleurs sociaux pour y parvenir. Outre l’émergence d’acteurs spécialisés comme l’Organisme national de vente (ONV), une grande partie des organismes Hlm a entrepris la mise en place de procédures internes de sélection des biens à céder, de commercialisation et, parfois, de gestion des copropriétés mixtes nouvellement créées. Dans beaucoup de cas, la vente Hlm est devenue une partie intégrante de leur stratégie : entre redéploiement territorial, restructuration de leur patrimoine, développement d’une offre nouvelle, etc. A bien des égards, la vente Hlm vient contribuer au développement de stratégies entrepreneuriales et à la diversification des activités et des métiers des bailleurs sociaux.
Dans le cas des logements collectifs en particulier, la mise en vente se traduit par la création de copropriétés nouvelles dites “mixtes”. Souvent construits et gérés sous la forme de monopropriétés détenues par un bailleur unique, ces ensembles immobiliers changent donc de statut juridique et, par là même, de modes de gestion, d’entretien et de prise de décision. Dans le processus de mise en vente, les organismes Hlm peuvent conserver à plus ou moins long terme une majorité relative ou absolue des lots de copropriété.
Cela soulève de nouvelles questions : sur les rapports des copropriétaires particuliers au bailleur social et au syndic – parfois filiale dudit bailleur –, sur l’engagement des bailleurs sociaux dans la gestion et la réalisation de travaux dans ces immeubles, sur les services offerts aux locataires de logements sociaux en copropriété, ou encore sur l’apprentissage du statut de copropriétaire des anciens locataires Hlm.
Hortense Soichet ©
Dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest, la vente Hlm se développe à compter des années 1980 pour pallier la raréfaction des ressources publiques, en particulier celles consacrées à la construction de logements. Cette évolution s’inscrit également dans un contexte néolibéral, où les pouvoirs publics promeuvent l’accession à la propriété en parallèle d’une résidualisation du logement social. Par ailleurs, elle participe d’une transition généralisée des bailleurs sociaux vers des stratégies locatives et patrimoniales se rapprochant progressivement d’un modèle entrepreneurial.
Plusieurs modèles distincts ont vu le jour selon les contextes nationaux : la vente en bloc à des investisseurs institutionnels en Allemagne, le droit à l’achat des locataires au Royaume-Uni (right to buy) ou encore le droit à la vente de certains biens par les bailleurs sociaux, tel qu’on l’observe aux Pays-Bas et en France.
Les évolutions du contexte économique et financier depuis 2018 ont produit des effets importants sur les politiques et les acteurs de la vente Hlm. D’un côté, la poursuite de la logique d’austérité budgétaire qui s’applique au logement social amène les organismes Hlm à s’appuyer de plus en plus sur leurs fonds propres pour financer les besoins d’investissements massifs auxquels ils font face, tant pour la production d’une offre nouvelle que pour la réhabilitation du parc existant. La logique voudrait ainsi qu’ils accélèrent la mise en vente d’une partie de leur patrimoine.
D’un autre côté, le renchérissement du crédit immobilier et le resserrement de ses conditions d’accès viennent pénaliser directement les locataires Hlm censés accéder à la propriété par l’intermédiaire de ces dispositifs. Dans ces conditions, quel est l’avenir de la vente de logements sociaux en France au regard de la double ambition affichée par la loi Elan ?