Que nous apprennent les résultats intermédiaires du programme de recherche sur la vente Hlm ?
William Le Goff, directeur des études et de la prospective à la Fédération nationale des offices publics de l’habitat, livre une série de réactions, d’analyses et de questions à la suite des résultats provisoires présentés par les cinq équipes du programme de recherche lors du séminaire du 20 juin 2022.
Le séminaire intermédiaire du 20 juin 2022 a été l’occasion pour les équipes de recherche de présenter leurs résultats provisoires auprès de la communauté d’acteurs et de chercheurs rassemblés dans ce programme partenarial. Si ces résultats sont, à ce stade, non consolidés, une série de premiers enseignements et d’alertes constructives peut être formulée et partagée pour contribuer au débat.
1. Que vend-on ? La difficile quantification de la vente Hlm
L’objectivisation de la vente Hlm repose sur des travaux quantitatifs — parfois des modèles économétriques — et qualitatifs, sur la base d’entretiens auprès des parties prenantes (ménages, organismes Hlm, collectivités locales, services de l’État, etc.). Néanmoins, la quantification de la vente Hlm se révèle incertaine, en fonction des sources utilisées : RPLS, l’enquête vente de l’Union sociale pour l’habitat, ou bien les fichiers fonciers. En effet, les écarts annuels d’estimation du nombre de ventes varient de 25 % en fonction des bases de données, comme l’avait déjà indiqué le Panorama de la vente Hlm aux particuliers en Île-de-France de l’AORIF. Par conséquent, caractériser la vente Hlm — sa concentration géographique, la typologie des logements vendus, le profil des organismes Hlm concernés (la vente est concentrée chez quelques bailleurs, en particulier des ESH), etc. — demeure un exercice dont les conclusions doivent rester prudentes. Une autre question fondamentale est également de s’accorder sur une définition partagée du logement social lorsque l’on sait, par exemple, que plus de 10 % des ventes concernent des logements intermédiaires.
2. Qui achète ? Existe-t-il des « catégories » d’acheteurs ?
Outre les questions relatives au patrimoine, les recherches apportent des éléments féconds sur les acquéreurs des logements sociaux mis en vente. Qui sont ces ménages ? Pourquoi achètent-ils ces logements ?
Les travaux indiquent une large diversité des profils des ménages, tant dans leurs caractéristiques (genre, revenus et catégorie socioprofessionnelle, composition du ménage, etc.) que dans leurs stratégies résidentielles. Si la part des locataires du parc Hlm parmi les acquéreurs tend à diminuer dans le temps, les équipes de recherche recensent plusieurs « figures de propriétaires » tels les ménages locataires du parc social qui accèdent à la propriété (les « opportunistes »), des jeunes couples issus des classes moyennes (les « gentrifieurs ») voire des propriétaires bailleurs, véritables « investisseurs ». Mais cette typologie ne recouvre pas toute la diversité des profils. Par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, l’acquisition d’un logement social permet àdes femmes cheffes de ménage monoparental qui ont vécu une rupture personnelle de reconstituer une estime de soi. Car devenir propriétaire renvoie à des motifs eux aussi très variés, même si le désir de sécurisation individuelle et de transmission patrimoniale constitue fréquemment un socle explicatif de l’achat.
Cette diversité des profils d’acheteurs complique les stratégies commerciales des bailleurs sociaux, ce qui peut expliquer, en partie, l’écart important entre la mise en vente et les ventes effectives ainsi que le temps (très/trop ?) long des ventes, provoquant la création de copropriétés mixtes dans des immeubles auparavant détenus dans leur totalité par un bailleur social.
3. Comment vend-on les logements sociaux ?
Un enseignement précieux des travaux menés est que le niveau de mise en vente dépend des volontés politiques locales. Les conventions d’utilité sociale (CUS) ont certes marginalisé le pouvoir politique local en matière d’autorisation de vente des logements sociaux. Cependant, ce sont bien les exécutifs locaux qui encouragent ou dissuadent les organismes Hlm de vendre une partie de leur parc. Tout comme l’a montré Anne-Laure Hincker Jourdheuil dans sa thèse sur la Vefa au profit des organismes Hlm, la décision politique locale continue à jouer un rôle central dans les stratégies et les pratiques des bailleurs sociaux. .
Les bailleurs vendeurs ont mis en place, de leur côté, une ingénierie qui relève du « new public management ». Des salariés issus d’écoles de commerce mettent en place des « parcours client » afin d’activer la mobilité des locataires et ainsi de libérer les logements des ensembles « vendables ». L’accompagnement des acquéreurs et les mises en copropriétés participent aussi de la transformation du logement social en « actif immobilier ».
Entre poids de la décision politique locale et mise en place d’une ingénierie complète par les bailleurs sociaux, la vente incarne la « privatisation » du logement social. Mais à qui profite la vente ?
4. Cui bono ? À qui profite la vente Hlm ?
La vente profite-t-elle aux bailleurs sociaux ?
L’antienne est de répéter que la vente d’un logement Hlm permet de dégager des fonds propres permettant de contribuer au financement de la construction de deux ou trois nouveaux logements sociaux. Mais, bien souvent, les logements reconstruits ont des caractéristiques très différentes en matière de typologie — plus petits —, de localisation et de niveaux de loyers — plus chers.
Dès lors que le premier logement de l’immeuble est vendu, l’organisme Hlm devient copropriétaire. Il doit affronter des situations et des montages juridiques complexes. Or la copropriété mixte constitue bien le « régime de droit commun » à la suite de la mise en vente de logements sociaux : la vente complète d’un ensemble immobilier s’étend sur une ou plusieurs décennies. À l’heure où un des enjeux principaux est de rénover de façon ambitieuse les logements énergivores, la mise en copropriété constitue un véritable obstacle à des interventions lourdes sur le patrimoine.
La vente profite-t-elle aux acquéreurs ?
Les ménages acheteurs ne sont pas contraints à l’achat. Ils bénéficient d’un prix décoté dont le montant est fixé selon des valeurs de marché. En outre, ils bénéficient aussi d’une sécurisation Hlm : en cas de mauvaise fortune (séparation, chômage, etc.), les accédants peuvent ainsi réintégrer le parc social. Comme évoqué au préalable, les acquéreurs ont des motivations et des profils très différents. Les acquéreurs, anciens locataires du parc social, éprouvent parfois un sentiment de délaissement de la part du bailleur d’origine, en particulier quand les travaux de rénovation doivent être assurés par les acquéreurs. Les logements vendus (correspondant à un processus de privatisation) sont ensuite eux-mêmes revendus ou reloués (témoignant d’une marchandisation du parc). Ces reventes et ces relocations sont l’objet de plus-values privées bien souvent importantes, sauf quand il s’agit de ventes, par exemple, intrafamiliales. Les niveaux de prix et de loyers des anciens logements sociaux atteignent fréquemment le niveau de ceux du marché immobilier local.
La vente profite-t-elle aux territoires ?
La vente de logements sociaux peut constituer un pari pour les territoires, en y introduisant des formes de mixité urbaine et sociale par la mixité des statuts et/ou la mixité des populations. Or, dans l’Aisne et la Métropole européenne de Lille, l’une des équipes de recherche observe une accentuation des différences entre quartiers au sein des villes et agglomérations. Les travaux rapportent aussi des transformations matérielles (autoréhabilitation des logements) et sociales (changement du peuplement des logements) typiques des processus de gentrification de certains quartiers populaires.
Conclusion provisoire sur des ventes définitives…
Si une montée en puissance des volumes de vente Hlm est observée en passant de 6000 à environ 11 000 logements ces dernières années —, la situation de la France se distingue nettement de l’expérience britannique (vente massive aux ménages) et allemande (vente en bloc à des opérateurs institutionnels).
La vente constitue néanmoins un affaiblissement de la propriété collective dont le logement constitue un pilier fondamental, au profit de la propriété individuelle comme élément de sécurisation des ménages des classes populaires et moyennes.
L’accélération de cette dynamique, issue d’une volonté politique forte, pose ainsi la question de la privatisation et de la marchandisation du « patrimoine de ceux qui n’en ont pas ». Mais cette dynamique peut aussi s’inscrire dans des formes de régulation originales, comme la vente par l’intermédiaire d’un office foncier solidaire.
Enfin, la vente s’adresse à des ménages qui sont les premiers concernés par la hausse des taux du crédit immobilier. Le nouveau cycle macroéconomique et financier pose ainsi le sujet de la soutenabilité de la vente Hlm, sujet de débats féconds et stimulants.
Parole aux commanditaires