Profils et stratégies : vers une typologie des acquéreurs de logements Hlm
Coordonné par Matthieu Gimat, le projet de recherche sur la vente de logements sociaux en Ile-de-France a permis d’établir une typologie des acquéreurs à partir d’enquêtes effectuées auprès des habitants dans trois résidences de la région. Les logements y ont été mis en vente à des dates différentes (fin des années 1990 à Sartrouville, en 2010 à Villejuif et en 2016 à Alfortville). La typologie qui résulte de l’étude prend donc en compte les effets évolutifs des ventes Hlm sur la durée. Ces travaux sont conduits par Sylvie Fol, professeur d’urbanisme et d’aménagement à Paris 1 Panthéon Sorbonne, Pauline Gali, doctorante en 1ère année (Laboratoires Triangle et Latts) et Marie Mondain, post-doctorante au laboratoire Géographie-Cités.
« Notre objectif, avance Pauline Gali, est d’analyser l’articulation des stratégies résidentielles avec les stratégies de valorisation des anciens logements Hlm par leurs acquéreurs. » Dans cette perspective, l’équipe de recherche a construit une typologie des acquéreurs à partir de trois critères principaux : les motivations exprimées lors de l’achat, la place que le logement occupe dans la trajectoire résidentielle des ménages, ainsi que celle qu’elle joue dans leur stratégie patrimoniale pour en déterminer notamment la volonté de valorisation. « Nous cherchons aussi à identifier à quelles pratiques résidentielles correspondent les différents types d’acquéreurs », ajoute Pauline Gali.
Accession-ancrage
Trois grandes catégories ont émergé de cette étude. La première, baptisée « accession-ancrage », regroupe un nombre important de ménages qui achètent un logement Hlm en vue de sécuriser leur parcours résidentiel. À leurs yeux, cette acquisition est perçue comme un aboutissement. Ils sont motivés par le fait de ne plus avoir à payer de loyer et conçoivent la propriété du logement comme une épargne qu’ils pourront transmettre à leurs enfants avec, là aussi, une volonté de sécurisation. Ces ménages, constitués de classes populaires et de professions intermédiaires, sont plus âgés que ceux des autres groupes et, pour beaucoup, d’anciens locataires Hlm, qui ont très majoritairement acquis leur logement auprès du bailleur.
Accession-transition
La deuxième catégorie, appelée « accession-transition », est aussi très importante et comporte deux sous-catégories. La première sous-catégorie est très proche du groupe accession-ancrage, du point de vue du profil socio-économique et des motifs d’achat des ménages. Ces derniers acquièrent, souvent auprès du bailleur, un logement sans imaginer d’emblée le revendre. Toutefois, au fil du temps, un changement dans leur vie (naissance d’un enfant, nouveau projet de vie, etc.) transforme ce qu’ils croyaient être un aboutissement de leur parcours résidentiel en une étape vers un autre projet d’acquisition d’un logement. Dans ce cas, la plus-value qui n’était pas recherchée au départ est perçue comme une aubaine qui les aidera à réaliser ce nouveau projet résidentiel. A l’inverse, la seconde sous-catégorie de ménages envisage d’emblée l’acquisition d’un logement Hlm comme une étape de leur parcours résidentiel dans le cadre d’un projet de plus long terme déjà défini. Ils sont mus par le désir de cesser de payer un loyer et d’améliorer leurs conditions de logement, et par la possibilité de réaliser une plus-value destinée à l’achat d’un futur logement considéré comme idéal. « Cette catégorie est composée principalement de cadres assez jeunes et issus du parc locatif privé. Ils connaissent les marchés immobiliers et achètent là où ils savent pouvoir engranger une plus-value », précise Pauline Gali.
Accession-investissement
Baptisée « accession-investissement », la troisième catégorie regroupe un nombre de ménages bien moindre que les deux précédentes. L’acquisition d’un logement issu du parc social est envisagée, dès le départ, avec l’intention de le revendre pour réaliser une plus-value, ou de le mettre en location (lire l’article du blog publié en décembre sur les travaux de Camille Boulai étudiant les ménages acquéreurs d’un logement Hlm reloué sur le marché libre). « Cette catégorie est principalement formée de cadres assez jeunes travaillant dans les secteurs de l’immobilier ou de la finance et qui transposent leurs logiques professionnelles dans leur vie privée », poursuit la doctorante. À noter que les acquisitions de cette catégorie se font souvent à la revente du bien et pas directement auprès des bailleurs.
Des locataires exclus et des acquéreurs modestes
Pour construire cette typologie, l’équipe de recherche a également enquêté auprès des locataires sociaux des trois résidences Hlm en vente. « Parmi eux, certains souhaitaient acquérir un logement Hlm mais n’ont pas pu le faire faute de ressources suffisantes », ajoute Sylvie Fol. Ce sont surtout des ménages de classes populaires aux revenus modestes ou irréguliers, des familles monoparentales et des locataires âgés qui constituent le profil habituel des ménages exclus de la propriété. Cette exclusion ne signifie cependant pas que la vente Hlm bénéficierait uniquement aux catégories sociales qui accédaient déjà à la propriété. « Les acquéreurs d’un logement social ont souvent des revenus plus faibles que ceux des ménages qui accèdent à la propriété en dehors du dispositif de la vente Hlm », fait valoir Sylvie Fol. « On compte parmi eux bon nombre de femmes seules, de familles monoparentales et de ménages immigrés. Ces acquéreurs peuvent acheter parce que le logement leur est proposé à un prix inférieur à celui du marché et qu’ils bénéficient d’un accompagnement des bailleurs sociaux. Cet accompagnement inclut une clause de rachat évitant une revente à perte dans le cas où le ménage acquéreur rencontrerait des difficultés financières. »
Une mixité sociale temporaire
Dans les trois résidences étudiées, l’équipe de recherche constate des formes originales de mixité sociale. Des locataires sociaux aux revenus très modestes y côtoient des locataires de logements privés issus de milieux plus favorisés, tels que des étudiants, des jeunes ménages en ascension sociale ou des accédants relevant de types socio-économiques variés. « Ce constat n’est pas figé, reprend Sylvie Fol, on observe des dynamiques qui modifient progressivement le profil diversifié des habitants au profit de ménages plus aisés dont le nombre augmente au fil du temps notamment lors des reventes de logements. » Aux yeux de la chercheuse, la mixité se réduit au fil du temps (voir un précédent article du blog), à un rythme qui dépend des dynamiques des marchés immobiliers locaux, de la propension des prix de vente à rejoindre ceux du marché libre et de la stratégie de vente des bailleurs sociaux. Si certains organismes préfèrent vendre à leurs locataires Hlm, d’autres visent davantage des acheteurs extérieurs à leur parc de logements.
La finalisation de ces travaux est en cours
À ce jour, l’équipe de recherche poursuit ses travaux d’analyse des 150 entretiens réalisés pour affiner la typologie et mieux quantifier les différentes catégories qui la composent. Elle va également poursuivre son analyse sur la manière dont le profil des acquéreurs façonnent leurs pratiques résidentielles (effets de voisinage, d’investissement dans la copropriété, le quartier ou la ville, etc.). Les travaux de la photographe Hortense Soichet (lire article du blog de février 2022) seront aussi utilisés pour observer la manière dont les acquéreurs et les locataires s’approprient leur logement et pour analyser les éventuelles différences entre les uns et les autres.
Par Victor Rainaldi
Crédits photos : Hortense Soichet ©