Les ventes Hlm font l’objet de négociations entre les collectivités et les bailleurs sociaux
Les plans de vente des bailleurs sociaux donnent souvent lieu à des négociations informelles avec les communes, et plus rarement avec les EPCI dont peu semblent s’être emparées du sujet de la vente Hlm. Sur quels sujets portent ces négociations, quelle en est l’issue et quel rôle jouent les services déconcentrés de l’État ? Paulette Duarte, maîtresse de conférences en urbanisme à l’Université Grenoble Alpes et chercheuse au Laboratoire PACTE, et Yoan Miot, maître de conférences à l’École d’urbanisme de Paris (Laboratoire LATTS), répondent à ces interrogations à partir de leurs recherches menées dans le cadre du programme.
La loi Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (ÉLAN) de 2018 fixe un objectif de vente annuel de 1 % du parc de logements Hlm. Si, au préalable, les maires des communes devaient obligatoirement donner leur accord en cas de vente Hlm, leur avis est désormais simplement consultatif et permet théoriquement aux bailleurs de passer outre. Ce « passage en force » peut se produire en pratique, mais ne se vérifie pas systématiquement. Souvent, des négociations informelles s’engagent entre bailleurs et collectivités, généralement les communes, comme l’ont constaté Paulette Duarte et Yoan Miot.
La Métropole européenne de Lille (MEL), qui s’est emparée du sujet de la vente Hlm et fournit son assistance aux communes consultées par les bailleurs sociaux, demeure une exception dans les territoires étudiés (Hauts-de-France et région grenobloise). Après le vote de la loi ÉLAN, la collectivité a adopté une délibération-cadre pour encadrer la cession de logements sociaux et limiter la vente en cas de présence d’amiante, d’étiquetage énergétique en classe E, ou sur les segments de l’offre sociale particulièrement en tension (T3). La MEL demande également aux organismes de rester copropriétaires à hauteur de 51 % des résidences mises en vente afin de limiter les risques de dégradation.
Néanmoins, l’ambition régulatrice de la MEL se heurte à son absence de compétence réelle sur le sujet. « La DDTM [Direction départementale des territoires et de la mer] du Nord consulte certes la MEL bien qu’elle n’y soit pas contrainte réglementairement, signale Yoan Miot, mais sans pour autant prendre en considération ses critères qu’elle juge trop restrictifs. » Il remarque également que la loi ÉLAN aurait eu « un effet déstabilisateur sur le processus de construction d’une gouvernance locale de la vente Hlm que la MEL était en train de mettre en place (ses instances de gouvernance ont cessé de se réunir de septembre 2018 jusqu’au début de 2023). » Par ailleurs, l’obligation d’annexer les plans de vente des organismes aux conventions d’utilité sociale (CUS), élaborées par les bailleurs et les services de l’État, a également contribué, selon Yoan Miot, à bouleverser la gouvernance locale de la vente Hlm et à marginaliser l’intercommunalité.
Pour sa part, Paulette Duarte observe que, dans la région grenobloise, les négociations s’organisent avec les communes lors de l’élaboration des plans de vente par les organismes. Les discussions peuvent ensuite se poursuivre sur un rythme annuel au fur et à mesure des mises en vente prévues par le plan. À noter également que les communes soucieuses d’élargir ou de préserver leur parc de logements sociaux négocient souvent avec les bailleurs Hlm avant même qu’un plan de vente leur soit présenté.
Les taux de logements sociaux au cœur des négociations
Les négociations entre les collectivités, les bailleurs et éventuellement les services déconcentrés de l’État portent principalement sur l’application de l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). Les communes redoutent que des cessions sur leur territoire les fassent repasser sous les seuils minimums de logements Hlm (20 % ou 25 % des résidences principales) ou les empêchent d’atteindre les seuils qui leur sont imposés. Ces craintes concernent l’ensemble des terrains de recherche. « Elles sont encore plus élevées dans les communes sous astreinte qui doivent faire davantage d’efforts pour respecter les taux SRU », indique Paulette Duarte. Les négociations des communes de la région grenobloise conduisent également à encourager les ventes de logements rénovés et performants sur le plan thermique. Les communes sont également plutôt favorables aux ventes en bloc de bailleur social à bailleur social.
Quelle est l’issue de ces négociations ?
Que les négociations impliquent des collectivités dotées de compétences techniques pointues — à l’instar de la MEL et de Grenoble Alpes Métropole — ou des collectivités moins outillées, ce sont in fine les services déconcentrés de l’État qui ont le dernier mot sur les plans de vente des organismes. « Leur priorité est d’atteindre l’objectif annuel de 1 % de vente du parc social », souligne Yoan Miot. Quant aux communes, elles se montrent d’autant plus combatives sur les plans de ventes qu’elles sont impliquées dans le maintien et le développement de leur parc de logements sociaux. Ainsi, dans la région grenobloise, Paulette Duarte constate que les communes qui disposent de fonciers constructibles font jouer cet atout pour infléchir les plans de vente des bailleurs — désireux de construire sur ces territoires — qui ne leur conviennent pas.
Enfin, l’issue des négociations entre les communes et les bailleurs est très liée à la force de l’ancrage local de ces derniers. Dans les Hauts-de-France, Yoan Miot remarque que les offices publics de l’habitat (OPH), rattachés aux collectivités (communes, EPCI, etc.), suivent bien davantage leurs recommandations que les ESH. Dans la région grenobloise, en revanche, c’est l’implantation locale de l’organisme, quel que soit son statut (OPH ou ESH), qui joue un rôle majeur. Un bailleur très implanté localement aura tendance à suivre la position de la collectivité, bien plus qu’un organisme qui a vocation à se développer à une échelle régionale ou nationale.
Un point aveugle dans les négociations
Yoan Miot fait également part d’un point aveugle du processus de vente Hlm sur son périmètre de recherche : « Ni les bailleurs, ni les collectivités, ni les services de l’État ne prennent en considération que le niveau des loyers des logements vendus était plus bas que les logements PLAI [Prêt Locatif Aidé d’Intégration] que l’on pourrait construire pour les remplacer. » Le chercheur explique cette « impasse » par le fait que les collectivités se préoccupent surtout de la qualité des logements vendus pour éviter une dégradation des copropriétés. « Du côté des bailleurs sociaux, mon hypothèse est qu’ils fondent leur stratégie sur la vente de biens amortis et à bas niveau de loyer afin de dégager la meilleure valeur nette comptable possible. » Cette hypothèse repose sur les effets de la réduction du loyer de solidarité (RLS) qui pousse les organismes à reconstituer leurs fonds propres pour compenser la perte qui leur est imposée sur les loyers. Le constat est différent dans la région grenobloise où la politique de vente des bailleurs sociaux concerne principalement des logements en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et relevant plutôt des catégories d’habitat intermédiaire et individuel, indique Paulette Duarte. En conclusion, si les taux minimums de logements sociaux à atteindre et la volonté ou non de développer le logement Hlm sont des questions centrales dans les négociations entre bailleurs et collectivités, les particularités des territoires entrent en ligne de compte – notamment dans les rapports entretenus entre les acteurs. Ces différents contextes donnent lieu à des stratégies distinctes de la part des acteurs, à commencer par les organismes Hlm.
Propos recueillis par Victor Rainaldi.