Des logements Hlm vendus et mis en location sur le marché libre : une nouvelle stratégie d’investissement immobilier ?
Dans le cadre d’un stage au sein de l’équipe du projet de recherche « Vente de logements sociaux en Ile-de-France : les organismes Hlm et leurs locataires face au marché immobilier francilien », Camille Boulai, étudiante en master 2 à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, a réalisé une étude auprès de 16 ménages ayant acquis un logement Hlm pour ensuite le louer sur le marché locatif « libre ». Cette approche qualitative est complétée par une analyse quantitative. Les résultats de son travail sont rassemblés dans le mémoire de master 1 qu’elle a rédigé sous la codirection de Sylvie Fol et de Matthieu Gimat. En voici les principaux enseignements.
L’enquête de Camille Boulai porte sur les trois résidences étudiées dans le projet de recherche de l’équipe Géographie-Cités : « Vente de logements sociaux en Ile-de-France : les organismes Hlm et leurs locataires face au marché immobilier francilien ». Elles sont situées à Villejuif, Alfortville et Sartrouville. Cette enquête permet de mieux comprendre le profil et les motivations des bailleurs privés d’anciens logements Hlm. Aussi, en plus de documenter les effets de la location en termes de gestion et de peuplement des copropriétés, ce travail apporte un regard critique sur l’efficacité des dispositifs de vente Hlm en termes d’accession à la propriété des ménages modestes.
Des propriétaires bailleurs favorisés
Dans les trois résidences étudiées, les ménages acquéreurs d’un logement social qu’ils mettent en location appartiennent aux classes moyennes et supérieures. Ils sont, à une exception près, tous diplômés de l’enseignement supérieur : 5 sur 16 ont un niveau d’étude égal à Bac +2, et 10 ont un niveau au moins égal à Bac +5. « Ce sont majoritairement des cadres et des professions intellectuelles supérieures. Seuls trois d’entre eux sont d’anciens locataires du logement social, dont un presque accidentellement puisqu’il logeait dans une copropriété rachetée par un organisme de logement social », explique Camille Boulai.
Recherche locataires très solvables
Au-delà des réticences des propriétaires à parler de leur patrimoine, l’étude apporte plusieurs enseignements. La vente Hlm semble constituer une première opportunité, peu risquée, de socialisation à la propriété bailleresse. L’acquisition d’un logement Hlm est très souvent le premier investissement locatif des ménages rencontrés qui ont bénéficié des prix inférieurs à ceux du marché pratiqués par les trois organismes de logement social. Une partie des ménages de l’échantillon travaille dans les secteurs de la finance, du droit ou de l’immobilier et connaît très bien les rouages de la location. Ce sont de « fins connaisseurs » nous dit Camille Boulai, qui voit dans leurs pratiques un risque de dérive spéculative. En effet, les logements qu’ils relouent le sont presque systématiquement à des tarifs deux à trois fois supérieurs à ceux des logements Hlm du même immeuble, et cela n’est pas sans effet sur le peuplement des résidences. Avec de tels niveaux de loyers, les bailleurs recherchent les locataires les plus solvables dotés d’un emploi stable et de garanties solides. Certains visent spécialement les colocations d’étudiants et réaménagent l’appartement dans ce but. L’incitation à remettre en location un ancien logement Hlm paraît donc assez clairement liée à son prix d’achat attractif et à la possibilité de le louer à un prix élevé.
Des bailleurs plutôt favorables aux travaux de rénovation
Six des 16 propriétaires enquêtés n’ont jamais vécu dans le logement. Ils ont mis l’appartement en location immédiatement après l’acquisition. Pour les autres, la mise en location a été réalisée en moyenne après trois années d’occupation. Aussi, douze propriétaires ne participent aux assemblées générales de la copropriété que si l’ordre du jour les intéresse. Les quatre bailleurs qui y assistent régulièrement ne possèdent qu’un seul logement locatif. Cependant, Camille Boulai a observé que, dans l’ensemble, les bailleurs de l’échantillon se tiennent informés des décisions prises par l’assemblée générale et sont favorables aux travaux valorisant leur bien (ravalement), surtout s’ils envisagent une revente à court ou moyen terme. À noter également que le taux de rotation des logements remis en location est très élevé. Les locataires restent en moyenne deux ans et cela tant dans les locations que dans les colocations.
La professionnalisation des ménages bailleurs
L’étude de Camille Boulai fait émerger deux types de propriétaires bailleurs aux stratégies patrimoniales différenciées. Les « investisseurs avertis » sont des multipropriétaires possédant en moyenne cinq logements en location acquis avec des crédits à long terme. Ils louent généralement en colocation des logements meublés et parfois réaménagés pour créer une chambre supplémentaire afin d’en optimiser le rendement. Ces ménages assurent eux-mêmes la gestion du bien. A contrario, les « apprentis bailleurs » ne détiennent le plus souvent qu’un seul logement loué vide, acquis avec un crédit à court terme et dont la gestion est plutôt confiée à une agence immobilière. Cette typologie n’est cependant pas figée. Les « investisseurs avertis » ont souvent commencé par acheter un logement Hlm puis, confortés par cette « bonne affaire », ont poursuivi leur stratégie d’acquisition. « La plupart des « apprentis bailleurs » interrogés, fait remarquer Camille Boulai, envisagent d’acheter un autre logement. »
Faut-il renforcer les clauses anti-spéculatives ?
Enfin, une étude quantitative a été conduite à partir des Fichiers fonciers. Ces derniers fournissent des indications sur les logements Hlm vendus en Île-de-France entre 2009 et 2019, et leur exploitation requiert de nombreuses précautions méthodologiques. Leur analyse montre toutefois qu’entre 19% et 32% des 14.083 logements Hlm franciliens vendus entre 2009 et 2019 sont en 2021 loués dans le parc privé, soit entre un logement sur cinq et un logement sur trois. Une augmentation de la mise en location des logements Hlm vendus après l’expiration des clauses anti-spéculatives est par ailleurs constatée. Si ces clauses n’empêchent pas les ménages de mettre en location leur bien dans le secteur « libre », elles semblent tout de même avoir un effet dissuasif en termes de niveau de loyer durant les cinq années pendant lesquelles elles s’appliquent. Pour freiner ce mouvement de mise en location, le respect des clauses anti-spéculatives pourrait être contrôlé, ce qui ne semble pas être le cas actuellement. L’un des objectifs du projet de recherche coordonné par le laboratoire Géographie-Cités sera, dans les prochains mois, de chercher à consolider les premiers résultats issus de cette étude.
Propos recueillis par Victor Rainaldi
Crédits photos : Hortense Soichet ©